lundi 19 mars 2012

Les missions du Conseil constitutionnel pour l’élection présidentielle


Le Conseil constitutionnel a une mission étendue qui concerne la préparation, le déroulement du scrutin, la proclamation des résultats et les recours formés par les candidats
« Le Conseil constitutionnel veille à la régularité de l'élection du Président de la République. Il examine les réclamations et proclame les résultats du scrutin » (article 58 de la Constitution).
S'agissant de l'élection présidentielle, le Conseil constitutionnel a une mission étendue qui concerne la préparation, le déroulement du scrutin, la proclamation des résultats et les recours formés par les candidats contre les décisions de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.
Avant l'élection
Le Conseil constitutionnel doit être rendu destinataire de tous les actes préparatoires à l'élection, adoptés en vue d'organiser le scrutin, par le Gouvernement et les instances administratives concernés, en application du III de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République et de l'article 46 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 :
  • Décrets de convocation des électeurs ;
  • Textes réglementaires d'application ;
  • Circulaires aux préfets et aux maires ;
  • Documents électoraux tels que procès-verbaux, modèles de bulletins, etc. ;
  • Mémentos divers destinés aux candidats.
    Le premier mémento sur lequel le Conseil constitutionnel est consulté est celui relatif aux modalités de financement de la campagne électorale établi par la Commission nationale de contrôle des comptes de campagne et des financements politiques.
    La campagne des candidats pouvant commencer dans l'année qui précède le mois du scrutin, le Conseil constitutionnel est amené à se prononcer très tôt sur l'élection.
Cette activité de consultation et de préparation se poursuit pendant les mois qui précèdent l'élection. Ainsi Conseil constitutionnel :
  • arrête le formulaire de parrainage,
  • met au point la chaîne de traitement informatique des parrainages,
  • procède à toutes les vérifications matérielles et juridiques nécessaires pour dresser la liste officielle des candidats ;
  • répond aux questions posées au nom des candidats, les institutions et la presse ;
  • diffuse une information en direction du public (site internet : www.conseil-constitutionnel.fr) ;
  • prépare la mise en place de la logistique (notamment informatique) du recensement national des votes, en relation avec le ministère de l'intérieur ;
  • désigne ses délégués (1400 magistrats) pour contrôler sur place les opérations électorales.
Le jour du scrutin
Le Conseil constitutionnel assure une permanence téléphonique (essentiellement à l'intention de ses délégués) et il est rendu destinataire de toute information relative au déroulement du scrutin et à d'éventuelles difficultés.
Au lendemain de chaque tour
Le Conseil recense les résultats en faisant office de commission nationale de recensement des votes, examine les réclamations ainsi que le rapport de ses délégués, rectifie le cas échéant, puis proclame les résultats.
Après la proclamation des résultats
Le Conseil constitutionnel est juge de plein contentieux sur les recours des candidats contestant les décisions rendues sur leurs comptes de campagne par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP). Cette activité peut survenir environ six mois après l'élection.
* * *
Les « temps forts » de l'activité du Conseil demeurent :
  • le recueil des présentations de candidatures (les « parrainages ») et l'établissement de la liste des candidats,
  • la surveillance générale de chaque tour de scrutin,
  • la proclamation des résultats.
Le contrôle de la campagne électorale relève pour l'essentiel d'instances administratives indépendantes :
  • le Conseil supérieur de l'audiovisuel (www.csa.fr),
  • la Commission nationale de contrôle des comptes de campagne et des financements politiques (www.cnccfp.fr),
  • la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale. (CNCCEP)
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« Le Conseil constitutionnel reçoit les présentations ou « parrainages » de candidatures pour établir la liste des candidats à l'élection présidentielle
Outre l'obligation de satisfaire aux conditions générales d'éligibilité, le candidat potentiel doit être présenté par au moins 500 élus habilités. Chaque élu adresse au Conseil constitutionnel, à cet effet, dans un délai précis, une présentation ou « parrainage », selon un modèle arrêté par le Conseil constitutionnel (cf. le I de l'article 3 de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République).
Les 500 parrainages doivent émaner d'élus d'au moins 30 départements ou collectivités d'outre-mer différents sans dépasser un dixième, soit 50 pour un même département ou une même collectivité.
La loi énumère précisément les différentes catégories d'élus habilités à présenter un candidat : maires, parlementaires, députés européens, conseillers généraux, régionaux et d'une manière générale, membres des différentes assemblées territoriales à l'exception des conseils municipaux. Environ 47 000 mandats sont susceptibles ouvrant droit à présentation d'un candidat, ce qui correspond globalement à plus de 42 000 personnes élues.
Dès la publication du décret de convocation des électeurs (vers le 20 février de l'année de l'élection), chaque élu concerné est destinataire d'un seul formulaire de parrainage qui lui est adressé par la préfecture, ainsi que d'une enveloppe postale à l'adresse du Conseil constitutionnel.
Chaque élu, quelle que soit son affiliation politique, est libre de sa décision de donner ou non un parrainage et de le donner au candidat de son choix. Quel que soit le nombre de ses mandats, il ne peut donner qu'un seul parrainage pour un seul candidat.
Les candidats peuvent aussi se charger d'organiser pour leur propre compte la collecte des parrainages et les faire parvenir au Conseil constitutionnel au plus tard le 6e vendredi précédant le scrutin, soit, pour 2012, avant le vendredi 16 mars à 18 heures. En 2007, environ 17 000 formulaires ont été adressés au Conseil.
Le Conseil constitutionnel vérifie la validité des présentations (identité de l'élu, mandat, circonscription ···) et informe, au fur et à mesure, chaque candidat du nombre de parrainages valides reçus.
A l'issue des opérations de contrôle, le Conseil constitutionnel s'assure du consentement à la candidature des personnes présentées et constate le dépôt de leur déclaration de situation patrimoniale. Il établit alors, vers le 20 mars, la liste des candidats à l'élection présidentielle qui sera publiée au Journal officiel. L'ordre des candidats sur la liste résulte d'un tirage au sort effectué en séance.
Chaque candidat bénéficie, de la part de l'Etat, des mêmes facilités pour la campagne en vue de l'élection présidentielle notamment du versement d'une avance de 153 000 € pour sa campagne.
Au moins 8 jours avant le 1er tour du scrutin, le Conseil fait publier au Journal officiel pour chaque candidat, la liste de 500 noms, tirés au sort parmi les présentations validées, d'élus qui l'ont parrainé. Un élu ayant présenté un candidat ne peut demander à ce que son nom ne soit pas publié.
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Le Conseil constitutionnel contrôle la régularité des opérations de vote
Pour l'élection présidentielle, il y a environ 65 000 bureaux de vote sur le territoire national et à l'étranger principalement dans les ambassades et consulats.
Pour contrôler sur place les opérations de vote et de dépouillement, le Conseil constitutionnel désigne des délégués parmi les magistrats de l'ordre judiciaire ou administratif (cf. art 48 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958).
Le jour de l'élection chaque délégué du Conseil se rend dans tous les bureaux de son secteur.
Il contrôle le bon fonctionnement des bureaux de vote, en particulier il s'assure du secret, de la liberté et de la sincérité du vote ; il vérifie notamment que :
  • les bureaux de vote sont ouverts et constitués par un président et au moins deux assesseurs ;
  • les électeurs disposent de tous les bulletins au nom des candidats ;
  • le secret du vote est assuré par la mise à disposition d'isoloirs et le passage effectif des électeurs par l'isoloir ;
  • l'identité des électeurs est contrôlée et leur signature est apposée sur la liste d'émargement après avoir voté ;
  • l'urne est transparente et n'est jamais laissée sans surveillance ;
  • le registre des réclamations est accessible···
En cas d'irrégularité ou de difficulté, le délégué du Conseil communique ses observations au président du bureau de vote ; si celles-ci ne sont pas prises en compte, il en fait mention au procès verbal des opérations de vote et si nécessaire adresse un rapport au Conseil constitutionnel.
Selon la gravité des irrégularités constatées, leur persistance malgré les avertissements du délégué et leur impact sur le résultat, le Conseil peut procéder à l'annulation totale ou partielle des résultats du bureau de vote.
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Le Conseil constitutionnel procède au recensement des votes et proclame le résultat de l'élection.
Les procès verbaux de recensement des résultats des bureaux de vote sont centralisés d'abord, le cas échéant, au niveau de la commune, puis au niveau des départements et collectivités d'outre-mer par les commissions de recensement désignées à cet effet et, pour les bureaux de vote situés à l'étranger, par une commission siégeant au ministère des affaires étrangères.
Ces procès verbaux sont transmis le plus rapidement possible au Conseil constitutionnel qui en reprend le contenu, tout en vérifiant les observations de ses délégués, en examinant les réclamations, et en rectifiant s'il y a lieu les résultats.
Le Conseil déclare les résultats du premier tour et, à l'issue du second tour, proclame le candidat élu. 

jeudi 15 mars 2012

La règle (actuelle) des 500 signatures.


La règle des 500 signatures et les critiques à son encontre sont à nouveau sous les projecteurs, à cinq mois du premier tour de la présidentielle...
Comme à chaque veille d’élection présidentielle, les critiques se multiplient sur le système de parrainage empêchant les petits candidats de se présenter facilement devant les électeurs. 20 Minutes fait le point sur la règle des 500 candidatures et sur ce qui lui est reproché.
Quelle est la règle?
Un candidat à l’élection présidentielle doit réunir au moins 500 signatures d’élus provenant d’au moins trente départements français différents. Ce système a été instauré au début des années 60, pour éviter la présentation devant les électeurs de candidats et de partis farfelus. A l’origine, le nombre de parrainages à recueillir était de 100. Il est passé à 500 dans les années 70 pour renforcer l’esprit du système: si les maires ne veulent pas d’un candidat, c’est qu’il n’est pas légitime.
Qui peut parrainer un candidat?
On parle souvent de parrainage des maires, mais d’autres élus peuvent donner leur signature aux candidats. Parmi eux, on trouve les députés et les sénateurs, les présidents de communautés de communes ou encore les conseillers régionaux. Au total, environ 50.000 personnes peuvent potentiellement offrir leur parrainage à une candidature, dont plus de 36.000 maires. Chaque élu ne peut apporter sa signature qu’à un candidat.
Les parrains sont-ils connus?
Oui et non. Un candidat doit réunir 500 signatures pour se présenter à l’élection, mais il en collecte en général davantage, en cas d’invalidation de certains parrainages. Parmi toutes celles qu’il aura recueillies, seules 500 seront dévoilées au public, même si le candidat en a réuni 800. Les noms des élus signataires sont publiés dans le Journal officiel avant le premier tour de la présidentielle. En 2012, ce sera le 10 avril.
Combien de temps ont les candidats pour recueillir les 500 signatures?
La fin du suspense aura lieu le vendredi 16 mars 2012 à 18 heures. Le lundi d’après, la liste définitive des candidats à l’élection présidentielle sera publiée.
En quoi le système est-il critiqué?
Il est d’abord dénoncé par les petits candidats, qui voudraient une disparition de ce critère de sélection, ou au moins une baisse du nombre de signatures à recueillir. A chaque scrutin, plusieurs petits candidats échouent à les réunir. D’autres y arrivent, mais l’effort consacré à cette tâche retarde ou perturbe leur campagne. Il est aussi parfois critiqué par les maires, qui sont très sollicités pendant plusieurs mois par toutes sortes de candidats. On se souvient de cet élu qui, en 2007, lassé des appels constants des candidats pour obtenir son parrainage, avait annoncé publiquement qu’il le mettait en vente. Enfin, c’est le côté «public» des signatures qui est critiqué, notamment par le Front national: les noms de 500 élus parrainant Marine Le Pen seront publiés par le Journal officiel, ce qui gêne beaucoup d’entre eux, estimant qu’une telle publicité peut leur nuire. La candidate du FN a d’ailleurs réclamé au gouvernement mardi de rendre anonymes ces parrainages.
Nicolas Bégasse
Dans une tribune publiée dans Le Monde le 26 janvier 2012, Pierre Sadran, professeur émérite à Science Po Bordeaux, constate la faillite du système actuel des parrainages et avance de nouvelles propositions.
Définir une règle du jeu acceptable par tous les acteurs fait partie intégrante de l’éthique de la démocratie comme de ses dispositifs pratiques. Or une question, celle des modalités de présentation des candidatures à l’élection présidentielle, les désormais fameuses cinq cents signatures d’élus indispensables pour obtenir l’admission à concourir, fait régulièrement surface dans le débat politique, sans jamais trouver de solution satisfaisante, alors qu’il ne serait pas très difficile de résoudre le problème à condition de le poser dans les termes qui conviennent.
La question n’est jamais dans le bon tempo ; on l’évoque à contretemps. Soit trop tard, comme aujourd’hui, alors que la campagne est lancée : on ne change pas les règles du jeu en cours de partie. Soit trop tôt, une fois l’élection passée, parce que l’échéance suivante est trop éloignée pour qu’on se saisisse d’un sujet considéré – à tort – comme mineur. Il faut dire que l’enjeu n’intéresse vraiment que les outsiders, pas les favoris. Un peu comme si l’Argentine, ou les îles Tonga prétendaient infléchir l’ordre du jour de l’International Rugby Board pour corriger une règle peu avantageuse pour elles.
C’est ainsi que l’histoire se répète à chaque élection présidentielle : ceux des candidats potentiels qui ne disposent pas d’un réservoir d’élus locaux dévoués à leur cause peinent à rassembler une liste de présentateurs conforme aux exigences. Celles-ci sont à vrai dire plus contraignantes qu’il n’y paraît, car si les 500 signatures ne représentent qu’environ 1,2 % du « bassin » des quelques 42 000 élus concernés, encore faut-il qu’elles émanent de 30 départements (ou collectivités d’outre-mer) différents sans que plus de 50 d’entre elles soient issues d’un même département. On n’est donc pas surpris d’entendre Philippe Poutou (NPA) et Marine Le Pen se plaindre de la difficulté à passer cet obstacle tandis que Christine Boutin va jusqu’à menacer l’UMP d’une « bombe atomique » – n’hésitant pas à donner cette portée nucléaire à son éventuel ralliement à François Bayrou – si celle-ci ne lui facilite pas la tâche.
Or, quels que soient les sentiments qu’inspirent ces candidatures, il serait indécent que notre démocratie représentative tolère un goulet d’étranglement interdisant de vérifier par le vote que de tels courants restent minoritaires. Tout ce qui contribue à figer pour longtemps l’offre politique dans un oligopole trop étroit court le risque de fragiliser les bases mêmes de la démocratie, comme le démontre l’importance de l’abstention. Ce n’est pas parce que la famille Le Pen a pris l’habitude de mettre en scène sa position de victime potentielle du système que celui-ci doit être conservé, bien au contraire ! D’autant qu’il donne lieu à toutes sortes de manœuvres préliminaires sans parvenir à limiter efficacement la dispersion des candidatures ; on se souvient qu’en 2002 il y en eut 16, et 12 en 2007.
Mais toute la difficulté est de savoir comment réformer ce dispositif sans prendre un marteau pilon pour écraser une mouche.
On ne peut évidemment pas se passer d’un filtre visant à éliminer des candidatures dont le seul véritable motif serait non pas de fournir une offre politique aux Français, mais de se frayer, par pur opportunisme, un accès aux facilités financières et surtout à l’extraordinaire plateau de publicité gratuite offert par la campagne radiotélévisée. Toutes les dérives seraient alors permises, et rien ne pourrait endiguer une prolifération à tous égards dangereuse pour l’exercice de la démocratie.
On ne peut pas davantage céder à la suggestion de Mme Le Pen de revenir à la non publication des noms des élus signataires. Ce serait encourager l’irresponsabilité des élus, alors qu’en démocratie ils doivent assumer les conséquences de leurs actes, et ce serait prêter le flanc aux manœuvres souterraines des formations dominantes cherchant à produire, en orientant habilement les présentations, la configuration la plus favorable pour leur candidat.
On ne peut enfin suivre les préconisations du comité Balladur qui, en 2007, avait proposé de remplacer le système actuel par la sélection des candidats au sein d’un collège de 100 000 élus environ, soumis à l’obligation de voter à bulletin secret, pour désigner les candidats autorisés à se présenter. Outre ses incertitudes (conditions de désignation des membres de ce collège et surtout seuil de suffrages à partir duquel un candidat serait ou non habilité), ce dispositif transformerait profondément l’économie de l’élection présidentielle, en instaurant une sorte d’élection à trois tours, le premier restaurant le mécanisme des grands électeurs peu compatible avec une élection au suffrage universel. Mais au surplus, ce « premier tour », inéluctablement voué à une forte politisation, se prêterait forcément aux manœuvres partisanes visant à éliminer d’emblée les outsiders les plus menaçants pour chaque camp, quitte à favoriser des candidatures de pure diversion.
Faut-il pour autant renoncer à changer ? Non, car une réforme assez simple pourrait produire de meilleurs résultats, à condition de concevoir le dispositif des signatures non comme un parrainage, mais comme un filtre garantissant le pluralisme de la démocratie. Il s’agirait, tout en gardant l’exigence des 500 signatures et de leur répartition, ainsi que leur publication par le Conseil constitutionnel, de substituer à la règle selon laquelle un élu ne peut faire de présentation que pour un seul candidat, une nouvelle disposition obligeant les élus souhaitant participer à la présentation à signer pour six candidats de leur choix. Leur signature ne serait alors plus perçue comme un soutien politique accordé à tel ou tel, mais comme la caution du pluralisme de l’élection et du sérieux des candidatures.
Cette modification simple aurait un double avantage. D’une part, elle lèverait les réticences de nombreux élus à signer pour les candidats incarnant des idées qu’ils ne partagent pas mais dont ils ne peuvent nier l’importance, ou pour des candidats marginalisés par l’originalité de leur programme ; elle contribuerait ainsi au renouvellement de la scène et du débat. D’autre part elle permettrait de déjouer efficacement manœuvres souterraines et stratégies machiavéliques. Car, à vouloir concentrer exclusivement ses choix sur la droite, sur la gauche ou sur le centre, un élu desservirait son camp en poussant à sa division. Et, à adopter, plus cyniquement, la stratégie inverse pour diviser le camp opposé, il prendrait le risque de se discréditer aux yeux de son propre électorat.
Voilà donc, sur un point bien particulier mais nullement négligeable, une réforme facile à réaliser, ne pénalisant personne, et d’une parfaite innocuité financière. On peut souhaiter un engagement ferme et clair des principaux candidats pour modifier, dès le lendemain de leur élection, les règles de présentation pour qu’à l’avenir cette question ne vienne plus perturber le débat et le détourner pour un temps des sujets essentiels.

jeudi 1 mars 2012

La fonction présidentielle: constantes et variantes.


 Cet article a été publié par "Les petites affiches " le 1er septembre 2000 dans son numéro  175 pages ( 3 à 9)
La cohabitation longue que nous traversons depuis plus de trois ans a mis l’accent sur la fonction présidentielle. Pour certains, le Président de la République serait réduit à un rôle de simple résident [1] . En bref le temps des inaugurations de chrysanthèmes serait revenu. La vérité est différente. Le Président de la cohabitation a certes moins de pouvoirs que le Président de la concordance des majorités, mais il existe des points communs entre eux. Si la fonction présidentielle est à « géométrie variable » elle s’articule autour d’un noyau dur.
La fonction présidentielle est double : il y a d’abord une fonction institutionnelle que décrit l’article 5 de la Constitution. Elle-même se décompose en trois facettes : le gardien de la Constitution, l’arbitre du « fonctionnement régulier des pouvoirs publics» enfin, « le garant de l’indépendance nationale de l’intégrité du territoire et du respect des traités».
Il y a aussi une  fonction politique qu’aucun texte ne lui attribue explicitement mais que l’élection au suffrage universel lui a assigné. Elu en effet par le peuple sur des orientations politiques il « représente … l’application d’une certaine politique » comme le disait Valéry Giscard d’Estaing.
Si cette fonction politique correspond à un pouvoir partisan se traduisant par le choix d’options  politiques, la fonction institutionnelle met en œuvre un pouvoir d’Etat qui se situe au-dessus des choix politiques partisans. On passe ainsi insensiblement  du « président de tous les français» à « l’élu de la moitié de la France contre l’autre », ou encore sur un autre plan de l’Etat au peuple ou enfin du Chef de l’Etat au chef de l’Exécutif.
Ces deux fonctions s’appuient l’une sur l’autre et se renforcent mutuellement. Ainsi le fait d’être l’arbitre national donne-t-il plus de poids « au bon choix » du Président de la République. Mais bien sûr elles ne s’additionnent pleinement que lorsque le Président dispose d’une majorité à l’Assemblée Nationale, c’est à dire quand il y a concordance des majorités. En période de cohabitation la situation est plus délicate.

i – une   fonction d’abord institutionnelle

Le Président a la responsabilité de l’Etat et de ses intérêts supérieurs par opposition au Gouvernement qui prend en charge les aspirations du peuple considéré comme une réalité sociologique et politique. « Le chef de l’Etat assume une fonction régulatrice et protectrice du jeu institutionnel, tandis que le Gouvernement assure une mission créatrice et animatrice » [2] Tels sont les fondements de cette conception. Elle sera exprimée de manière plus précise par la Constitution qui en détaille le contenu.

A – Ses fondements

Cette conception institutionnelle de la fonction présidentielle ressort des écrits et les discours du général de Gaulle, elle sera formalisée par Georges Burdeau. Ses fondements ne sont pas seulement historiques et théoriques, ils sont aussi juridiques, l’article 5 de la Constitution les rappelle en effet.
a)    Les fondements historiques
Dans son discours de Bayeux le général de Gaulle a  précisé ce que devait être la fonction présidentielle. Sa conception s’appuie sur la volonté de restaurer l’Etat qui selon lui s’est progressivement délité sous les treize régimes qu’a connu la France et particulièrement sous la IIIe République. L’instabilité des régimes doublée d’une instabilité dans le régime a eu raison de l’Etat. Mais de Gaulle réfute toute tentation autoritaire. L’Etat fort qu’il appelle de ses vœux doit être démocratique. Il doit donc s’appuyer sur le peuple, mais par sur les partis politiques en effet, si la démocratie c’est également le pluralisme des opinions qu’incarnent les partis politiques, il ne faut pas pour autant que cet aspect l’emporte sur la volonté du peuple en tant que corps unifié, en tant que Nation.
Pour de Gaulle il y a donc deux plans : « celui de l’Etat ou de la République qui s’adosse à la nation des citoyens, celui de la démocratie qui exprime les exigences du peuple entendu comme réalité sociologique » [3] . Sur le  premier plan, celui de l’Etat, c’est la continuité, la permanence, bref l’Histoire qui importe. Sur le second celui de la démocratie, c’est la diversité des opinions, la rivalité des partis, la « propension gauloise aux divisions et querelles » [4] qui l’emporte. C’est pourquoi, il préconise « qu’au-dessus des contingences politiques soit établi un arbitrage national qui fasse valoir la continuité au milieu des combinaisons » [5] . Dans ce cadre, le Président de la République se voit investi d’une mission tout à fait particulière : il a en charge l’Etat ce qui le place au-dessus des pouvoirs exécutifs et législatifs. Lorsque douze ans plus tard, ces idées seront mises en œuvre et prendront forme dans la Constitution de la Ve République, cette conception de la fonction présidentielle sera établie sur des bases plus théoriques.
b)    Les fondements théoriques
Georges Burdeau va dès 1959 se livrer à une analyse des nouvelles institutions. [6] Elle s’appuie sur une théorie qui est chère à l’auteur et qu’il développera : celle du pouvoir d’Etat. [7] La nouvelle Constitution se résume en une formule : «Un souverain, deux pouvoirs». Il y a là de l’aveu même de l’éminent auteur un paradoxe, voire une contradiction. Mais, elle peut être dépassée dès lors que l’on admet avec lui que la notion de peuple est double. D’un côté en effet il y a toujours selon Georges Burdeau, « l’addition des individus qui forment sa réalité sociologique » bref les « hommes situés» et de l’autre il y a le peuple conçu comme une entité, la « collectivité dans son unité » [8] . En bref, on retrouve l’opposition, souvent reprochée au général de Gaulle, des français et de la France. D’une certaine manière on retrouve une autre distinction plus ancienne encore entre le peuple de la souveraineté populaire chère à Rousseau et la Nation de la souveraineté nationale chère à Sieyès. Les deux notions : le peuple réel et le peuple sublimé se trouvent sinon réconciliées du moins rassemblées. En effet et c’est le sens de la formule « un souverain, deux pouvoirs » il n’y a qu’un seul souverain, mais comme il peut être conçu de deux manières il s’exprimera à travers deux pouvoirs distincts.
D’un côté il y a le pouvoir d’Etat qui est remis entre les mains du Président de la République et qui s’exprime sur un plan qui est «celui des options irréversibles, celui où se décide l'avenir de la collectivité. C'est le plan où tel le 18 juin, s'inscrivent les dates fatidiques, celui où il ne s'agit plus de trouver des solutions de compromis pour concilier au jour le jour des intérêts contradictoires, mais de statuer durablement pour la nation entière. Bref, c'est le plan où se situe l'Histoire et, dans l'Histoire, le destin de la France » [9] . L’autre pouvoir, partisan ou démocratique est exprimé par le Parlement et le Gouvernement sur un plan où  «les intérêts s'affrontent ; classes et familles spirituelles font entendre leurs exigences; les partis élaborent les programmes, encadrent les forces, accusent les antagonismes, de telle sorte que, sur les problèmes de l'heure, la volonté populaire puisse se prononcer ».
Ces deux pouvoirs ne sont cependant pas situés au même niveau. Le pouvoir d’Etat est supérieur au pouvoir partisan en raison de l’importance différente de leurs  enjeux. Aussi le Président de la République est-il au-dessus des partis, il est en quelque sorte « apolitique». On n'est pas loin dans ces conditions du fameux « pouvoir neutre » que Benjamin Constant reconnaissait au chef de l’Etat [10]
        c) Les fondements juridiques
L’article 5 de la Constitution de 1958 est le premier dans l’histoire constitutionnelle française à tracer avec une certaine précision les contours de la fonction présidentielle. Il en donne le contenu - ce que nous verrons plus loin - mais il en ébauche aussi le fondement. On peut dire en effet que le Président de la République y est défini comme le chef de l’Etat au sens propre du terme. Sa fonction a donc pour fondement l’Etat. C’est si vrai que l’article 5 précise qu’il « assure la continuité de l’Etat »
Traditionnellement, l’Etat est défini par ses trois éléments : le territoire, la population et l’organisation politique. Or l’article 5 de la Constitution énonce les responsabilités du Président par rapport à chacun des ces trois éléments. Ainsi, est le « garant de l’intégrité du territoire »,  mais aussi le « garant de l’indépendance de la Nation», or qu’est ce que la Nation sinon la population consciente de son identité et la projetant dans l’avenir à partir d’une réflexion sur son histoire. Le même article 5 ajoute que le Président « assure le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ». L’organisation politique qu’est l’Etat n’est rien d’autre que l’ensemble des pouvoirs publics. Leur fonctionnement est régi par la Constitution dont le même article nous dit que le Président est le gardien dans la mesure où il « veille à son respect ». Enfin le Président de la République est le « garant du respect des traités» c’est à dire de la parole donnée au nom de l’Etat sur la scène internationale aux autres Etats. Tout dans cet article renvoie à l’Etat, à ses éléments constitutifs. Le contenu de la fonction se dessine désormais avec une plus grande précision.

B – Son contenu

La Constitution et plus particulièrement son article 5, énonce de manière assez explicite ce contenu. Il est triple puisque le Président y est décrit comme un gardien de la Constitution, mais aussi comme un arbitre national, enfin comme un garant de l’indépendance nationale et de l’intégrité du territoire.
        a) Le gardien de la Constitution
« Le Président de la République veille au respect de la Constitution » c’est par cette phrase que débute l’article 5, c’est par cette phrase que le Président est intronisé en tant que gardien de la Constitution. Dans ce cadre, il peut saisir le Conseil constitutionnel en vue de contrôler la constitutionalité des lois (art 61.2) ou encore la constitutionalité des traités (art 54).  Force est de reconnaître que ces dispositions ont été assez peu utilisées car elles font du Président un intercesseur et donc le dépouille d’une certaine manière de la réalité de ses prérogatives. Celles-ci résident surtout dans le pouvoir d’interprétation de la Constitution. Ce pouvoir est bien réel, il a une importance qui est loin d’être négligeable. [11]
En tant qu’interprète de la Constitution il peut apprécier la régularité de telle ou telle action des autres pouvoirs publics sous réserve bien sûr de l’intervention possible du Conseil constitutionnel. Toutefois, ce dernier ne peut se prononcer que  sur la constitutionalité des lois et des traités ainsi que sur la répartition des matières entre le  Parlement et le Gouvernement. Mais l’essentiel des prérogatives présidentielles réside dans l’interprétation des ses propres pouvoirs. C’est ainsi que les Présidents ont été amenés à élargir leurs propres compétences. Que l’on pense à l’interprétation de l’article 11 par le général de Gaulle : il a estimé qu’il lui permettait de réviser la Constitution sur cette base. Aucune autre interprétation ne peut en droit positif être substituée à celle-la sauf à déférer le Président devant la Haute Cour de Justice ! Que l’on pense également à l’interprétation de l’article 30. Le général de Gaulle en 1960 et François Mitterrand en 1987 et 1993 ont estimé qu’ils n’étaient pas obligés de convoquer le Parlement en session extraordinaire alors que la demande leur en était faites par la majorité des députés ou par le Premier ministre. « Alors il devient l’arbitre qui précise les règles du jeu » [12]
        b) L’arbitre
La tradition  républicaine reconnaissait au Président de la République une mission générale d’arbitrage. La Ve République y recourt également, mais le général de Gaulle donne à cette notion un contenu quelque peu différent. [13] On a classiquement opposé l’arbitrage passif des régimes précédents à l’arbitrage actif de la Ve République, l’arbitre sportif au juge arbitre etc…En réalité, l’arbitre que l’on avait connu jusque là exerçait une magistrature d’influence, il était neutre et impartial, désormais, il est au-dessus de la mêlée, il parle au nom des intérêts supérieurs de la Nation et par conséquent il tranche de manière souveraine. En bref, «il ne doit (plus) être un simple spectateur de la vie politique. Il doit pouvoir décider, imprimer à la politique de la Nation le sens de l’intérêt national qu’il représente, en tranchant entre les différentes thèses et positions.»  [14] On le voit, si  l’arbitrage est réévalué dans sa conception, il n’en reste pas moins limité par sa nature : le Président ne peut pas prendre d’initiatives de plus l’arbitrage est limité par son domaine.
Seuls le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’Etat sont assurés par l’arbitrage présidentiel aux termes de l’article 5. Même en interprétant de manière large la notion de pouvoirs publics ou celle de continuité de l’Etat il ne peut être question de permettre au Président de la République de jouer sur cette base un rôle trop important au quotidien. En effet, le président-arbitre  est celui qui en vertu de l’article  9 « préside le Conseil des Ministres » ainsi peut-il exercer « l’influence de la continuité dont une nation ne se passe pas » [15] , mais c’est aussi, celui qui en vertu de l’article 8 alinéa 1er nomme le Premier ministre. De cette façon, il peut « accorder l’intérêt général quant au choix des hommes, avec l’orientation qui se dégage du Parlement » [16]
Mais l’arbitrage présidentiel s’exerce aussi par cette possibilité de recourir à l’arbitrage populaire : «en invitant le pays à faire connaître par des élections, sa décision souveraine » [17] . On  reconnaît le droit de dissolution que l’article 12 accorde au Président sans aucune condition. Toutefois ce recours à l’arbitrage populaire peut prendre une  autre forme : celle du référendum. L’article 11 de la Constitution lui octroie le droit exclusif de le décider. Tous les pouvoirs induits par l’arbitrage sont des pouvoirs propres du Président de la République c’est à dire des pouvoirs dispensés du contreseing du Premier ministre c’est un signe supplémentaire de la dimension nouvelle donnée à la notion d’arbitrage, si nouvelle qu’elle déborde sur celle de garant.
        c) Le garant
C’est la version extérieure de l’arbitrage. [18] En effet, l’article 5 fait du Président de la République « le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités ». Il s’agit donc bien du double domaine « éminent » de la politique étrangère et de la défense nationale. Ici encore on peut constater que sous les Républiques précédentes le Président avait un droit de regard particulier sur ces secteurs, mais la Ve va pousser beaucoup plus loin ce qui n’était qu’une ébauche. [19]
Pour être un garant, il faut des moyens : on ne peut en ce domaine crucial, se contenter de mots. Or ces moyens existent : il s’agit en tout premier lieu de l’article 16. Sa rédaction reprend mot pour mot ceux de l’article 5. Pour garantir « l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités » le Président peut ainsi disposer de pouvoirs quasiment illimités, il peut exercer une véritable dictature ! Mais cet article n’a été conçu que pour des circonstances manifestement exceptionnelles. De manière plus générale, il peut être un garant dans la mesure où il dispose d'instruments diplomatiques et militaires. L’article 15 fait de lui le chef des armées et en vertu de l’article 52 il négocie et ratifie les traités ce qui le pose en chef de la diplomatie d’autant plus que selon l’article 14 « il accrédite les ambassadeurs ». La disposition de ces différents instruments le pousse à aller plus loin : pour garantir l’indépendance et l’intégrité du territoire ainsi que l’exécution des traités le mieux est sans doute de déterminer les politiques dans ces secteurs. Et c’est ainsi que s’est constitué ce que l’on a appelé au début de la Ve le domaine réservé. L’on passe ainsi insensiblement de l'aspect institutionnel de la fonction présidentielle à l'aspect politique,  de l'arbitre au capitaine

ii – Mais, Une fonction surtout  politique

 « La Constitution définit le rôle du chef de l'Etat comme étant celui d'un arbitre. Sans doute, est-ce là une erreur de conception. Dans le monde moderne  faire du chef de l'Etat un arbitre, c'est le  condamner à un rôle inactif : s’il veut exercer une fonction politique, il doit assumer bel et bien la responsabilité de l'Exécutif. » [20] C’est bien là ce qui s’est passé pendant de nombreuses années, tant que les majorités ont coïncidé. En période de cohabitation la situation est plus complexe, mais le Président continue de jouer un rôle politique.

A – En période de concordance des majorités

Durant cette période, le Gouvernement procède du Président de la République et comme ce dernier préside le Conseil des ministres, on peut parler d’un gouvernement présidentiel. Si l’on en arrive à cette extrémité c’est parce que les pouvoirs du Gouvernement remontent vers le Président et que celui-ci exerce pleinement les pouvoirs partagés.
        a) L’usurpation des pouvoirs du Gouvernement
Le Président de la République  a très vite dépassé son statut d’arbitre. Pour le général de Gaulle, le Président de la République est en effet non seulement le chef de l’Etat mais aussi le guide de la France. [21] Pour Georges Pompidou, il est  « à la fois arbitre et premier responsable national » [22] Valéry Giscard d’Estaing quant à lui  déclarait : « Il y a deux fonctions dans ce personnage. Il y a un …garant des institutions, protecteur des libertés des français. Et il y a quelqu'un qui représente du fait de son élection, l'application d'une certaine politique… » [23] Enfin François Mitterrand affirmait « C'est une fonction à la fois d'autorité et d'arbitrage ». [24]
On le voit tous les Présidents ont conçu leur fonction de manière extensive même s’ils ont utilisé des mots différents. A côté de l’arbitre ou de manière plus générale à côté de la fonction que définit l’article 5 tous les Présidents se sont reconnus une fonction plus politique qui consiste dans le choix d’options politiques.
En d’autres termes, les différents Présidents ont additionné l’article 5 et l’article 20. Selon ce dernier article, c’est le Gouvernement qui « détermine et conduit la politique de la Nation » or, les Présidents ont  tendance à déterminer eux-mêmes la politique de la Nation, à se substituer au Gouvernement dans ce qu’il faut bien appeler la fonction gouvernementale. François Mitterrand ne déclarait-il pas : « La politique de la France, je l’ai moi-même définie et (…) elle est conduite sous mon autorité » [25] Or la fonction gouvernementale ne consiste pas seulement dans l’orientation de la politique du pays, elle englobe au sens large et selon des auteurs comme Georges Burdeau la maîtrise de la production législative. [26] Ainsi tous les  Présidents sont-ils intervenus dans le processus législatif en lieu et place du Gouvernement.  La Constitution, et notamment son titre V, fait du Gouvernement celui qui a la haute main sur l’élaboration des lois. Bien sûr là encore la substitution n’est pas totale, le Président de la République se contentant d’intervenir dans des circonstances qu’il juge importantes. C’est ce qui a permis à Jean Gicquel ou Philippe Ardant de parler de Président-législateur [27]
A l’origine de ce phénomène, on trouve une conception extensive de la notion d’arbitrage : on passe de l’arbitre au capitaine [28] . De plus, le fait d’être le garant de l’indépendance et de l’intégrité du territoire amène inévitablement le Président de la République à déterminer la politique dans les domaines de la défense et des relations extérieures.
Mais par-dessus tout c’est l’élection du Président au suffrage universel direct qui va  entraîner cet élargissement de la fonction présidentielle. Comme l’a écrit le doyen Vedel :  « La position d’un candidat qui ne promettrait que l’arbitrage au sens faible est sans avenir » [29] . C’est ce que constatera à ses dépends Alain Poher lors de l’élection de 1969.  L’onction populaire ne peut que conduire au développement des prérogatives présidentielles. C’est là un phénomène quasiment mécanique que l’on a pu vérifier au lendemain des élections présidentielles de 1988 et de 1995. François Mitterrand comme Jacques Chirac avaient annoncé avant leur élection qu’ils exerceraient une présidence plus modeste. Or il n’en a rien été dans un cas comme dans l’autre.
Si les français élisent un Président c’est évidemment pour qu’il applique le programme politique qu’il a défendu pendant la campagne électorale. C’est ce que reconnaissait Georges Pompidou :  « Le référendum d’octobre 1962 a consacré non seulement l’élection du Président de la République par la nation tout entière, mais du même coup, la confirmation des pouvoirs dont dispose le Président pour orienter la politique de la France » [30]
Enfin, c’est la coïncidence de la majorité présidentielle et de la majorité parlementaire qui permet au Président de capter une grande partie de la fonction gouvernementale bref de déterminer la politique de la Nation sur la base des ses propres options défendues et confirmées par le peuple lors de l’élection présidentielle. Par l’intermédiaire du Premier ministre il dirige la majorité et devient ainsi non seulement le Chef de l’Etat mais aussi le véritable chef du Gouvernement. Comme le rappelle Jean Gicquel, « En vertu d'une solidarité partisane, teintée d'allégeance et de compagnonnage, le Gouvernement et la majorité parlementaire mettent leurs attributions à la disposition du chef de l'État en vue de réaliser son programme.» [31]
        b) Le plein exercice des pouvoirs partagés avec le Gouvernement
Non content de se substituer au Gouvernement dans l’exercice de ses pouvoirs les plus importants, le Président de la République exerce pleinement les pouvoirs que la Constitution partage entre les deux têtes de l ‘exécutif.
Deux techniques permettent le partage des pouvoirs du Président de la République. La première est la plus connue, il s’agit du contreseing, il est prévu par l’article 19 de la Constitution. Instrument traditionnel en régime parlementaire le contreseing des actes présidentiel par le chef du Gouvernement permet à ce dernier d’exercer en réalité les pouvoirs que la Constitution reconnaît nominalement au Président de la République. Or en raison de son élection au suffrage universel, les pouvoirs ne sont plus nominaux, mais réels. Il les exerce pleinement. Le contreseing lui est acquis d’avance, le contreseing est un dû [32]  : quel Premier ministre pourrait le lui refuser puisque politiquement parlant le chef du Gouvernement voit dans le  Président de la République son chef ! Si le Premier ministre n’est pas d’accord, c’est à lui de céder et non l’inverse. C’est d’ailleurs ce que reconnaissait Jacques Chaban-Delmas : «que serait ce Premier ministre qui s'accrocherait à son poste, qui se dresserait contre le chef de l'Etat ? Ah ce serait un triste sire! ». [33] Et quand quelques mois plus tard le Président décidera de se séparer de son Premier ministre, malgré la confiance que l’Assemblée nationale lui avait votée quinze jours plus tôt, Jacques Chaban-Delmas démissionnera, comme démissionneront bon nombre d’autres Premiers ministres. Ainsi, est-ce le Président de la République qui dispose pleinement du pouvoir de nomination des ministres. La plupart des Présidents ont imposé à leurs Premiers ministres un certain nombre de ministres qu’ils n’auraient pas choisi eux-mêmes. Le pouvoir de nomination des hauts fonctionnaires, ceux dont les postes sont pourvus en Conseil des ministres, appartient ainsi pour les mêmes raisons au Président de la République.
De même la proposition préalable, autre technique de partage, sera sollicitée par le  Président de la République et bien sûr obtenue devenant une simple formalité. Ainsi, le référendum de l’article 11 est-il décidé par le Président de la République seul, le décret l’instituant n’étant pas contresigné. Mais, c’est  « sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux assemblées » que le Président prend sa décision. Or cette proposition de référendum a toujours été des plus formelles. Le général de Gaulle et Georges Pompidou, annonçaient aux français leurs intentions référendaires avant la proposition officielle du Gouvernement. Par cette pratique le Président « s’octroie… un pouvoir entier » [34]  
Le Président de la République ajoute donc à ses pouvoirs propres, les pouvoirs usurpés du Gouvernement et les pouvoirs partagés qui ne le sont plus. Il devient un « monarque républicain » puisqu’il concentre entre ses mains presque tous les pouvoirs et ce parce qu’il est élu par le peuple et qu’il s’appuie sur la majorité de députés que lui donne le peuple.

B – En période de cohabitation

En période de cohabitation la situation est différente [35] . La fonction institutionnelle reste bien sûr intacte puisqu’elle se fonde exclusivement sur l’article 5 de la Constitution. Par définition elle ne donne au Président que des prérogatives exceptionnelles : la nomination du Premier ministre, la dissolution etc.… Mais le fait que le Président de la République soit le garant de l’indépendance nationale et de l’intégrité du territoire lui confère des responsabilités en matière de défense et de politique étrangère. Plus précisément le Président peut ainsi empiéter sur la fonction politique en opérant des choix  dans ces deux secteurs. Certes l’accord avec le Premier ministre est nécessaire.
Pour le reste de la fonction politique la situation est plus délicate. En effet, le Président élu pour mettre en œuvre certaines options, voit ces options remises en cause par une majorité de français, il est vrai à l’occasion d’élections législatives. Il n’empêche qu’ainsi le Président de la République, de chef de la majorité devient le chef de l’opposition. Ainsi exerce-t-il simplement sa faculté d’empêcher et ce que l’on peut appeler sa fonction tribunitienne.
        a) La faculté d’empêcher
Lorsqu’il y a cohabitation, les pouvoirs partagés du Président de la République le sont réellement. Chacun des protagonistes disposant en effet d’une légitimité populaire quasiment équivalente. Le Premier ministre de la cohabitation n’est certes pas directement élu au suffrage universel. Mais, en raison du phénomène majoritaire il est dans une position voisine de celle du Premier ministre britannique : lors des élections législatives qui ont amené la cohabitation il était le chef d’une coalition de partis se présentant unis devant les électeurs et leur proposant une plate-forme politique. La victoire de cette coalition transforme son chef en Premier ministre. Et c’est ainsi, que Jacques Chirac, puis Edouard Balladur et dernièrement Lionel Jospin ont quasiment été élu Chef du Gouvernement. Porteur d’une légitimité qu’il ne tient plus du Président de la République, le Premier ministre ne procède plus du Chef de l’Etat. Son contreseing au bas des décrets présidentiels n’est plus un dû. Quant au Président de la République, s’il n’est plus le chef de la majorité parlementaire il conserve sa légitimité populaire du fait de son élection qui reste acquise. Ses pouvoirs restent donc réels et non pas nominaux. Ainsi se trouve-t-on dans une situation où chacune des « têtes de l’exécutif » disposant d’une légitimité équivalente peut empêcher l’autre d’agir. Mais, comme ce sont le Gouvernement et le Premier ministre qui désormais déterminent la politique de la nation, du moins dans sa version intérieure, ce sont eux qui sont les éléments moteurs, ce sont eux qui sont demandeurs et par conséquent c’est le Président de la République qui dispose d’un véritable droit de veto. C’est la faculté d’empêcher [36] .
François Mitterrand l’a plusieurs fois mise en œuvre en refusant de signer les ordonnances ou en s’opposant à la nommination de deux ministres ou encore à celle de hauts fonctionnaires. Jacques Chirac est semble-t-il allé beaucoup moins loin en ce domaine, c’est la cohabitation tranquille.
        b) La fonction tribunitienne
Cette même légitimité populaire permet au Président de la République de se prononcer sur les projets du Gouvernement, de les critiquer, bref de gêner le Premier ministre sur un plan politique. C’est la capacité de nuire ou encore l’exercice de la fonction tribunitienne. Là aussi François Mitterrand a su aller très loin. Jacques Chirac quant à lui a souvent critiqué les choix économiques et sociaux du Gouvernement Jospin qu’il s’agisse des 35 heures ou de la  pression fiscale.
Toutefois pour donner des contours plus positifs à cette fonction politique le Président de la République a été amené à mettre en avant et à développer le thème de la modernisation de la vie  politique qui se situe dans le prolongement de son rôle institutionnel mais qui empiète sur la sphère des choix politiques et qui permet de contrer le Gouvernement.
Etre le chef de l’opposition ne consiste pas simplement à  s’opposer, encore faut-il diriger les forces politiques  qui s’opposent au Gouvernement. C’est la partie la plus délicate et la plus contestée du rôle du Président.
Pour cela il faut que le Président de la République devienne le chef de l’opposition parlementaire ou du moins qu’il soit la référence commune et unique des partis de l’opposition parlementaire. La jonction de la majorité présidentielle et de la majorité parlementaire n’a pas toujours été facile sous la Cinquième en période de concordance des majorités. Elle était cependant facilitée par l’existence du Premier ministre. En période de cohabitation la jonction  de l’opposition parlementaire et du Président de la République est des plus délicates pour plusieurs raisons. D’abord il n’y a pas de « contre-Premier ministre » ou plutôt ils sont multiples et de plus ce sont les partis de l’opposition qui les choisissent. Non désignés par le Président mais élus par leurs pairs et leurs compagnons, ceux-ci, et surtout celui issu du parti du Président se  posent progressivement en adversaires potentiels plutôt qu’en boucliers. C’est ce qui explique les relations tendues entre Jacques Chirac et Philippe Séguin ainsi que la démission de ce dernier. Ensuite les partis  ont eu tendance à s’affranchir de toute autorité. Ils ont été rebutés par le rôle de partis du Président. Sans le contrôle et l’appui de l’opposition parlementaire le Président de la République ne peut, en période de cohabitation, espérer remplir pleinement sa fonction  politique. C’est pourquoi celui-ci  a entamé récemment une véritable tournée pré-électorale. Il a rencontré les différents partis de l’opposition au Sénat d’abord où ses appuis sont les plus forts puisque l’opposition y est majoritaire, à l’Assemblée nationale  ensuite. Il est ainsi désormais reconnu par ces partis comme leur référence commune.
Pendant de nombreuses années, on a expliqué la position dominante du Président de la République par le fait qu’élu au suffrage universel, il s’appuyait sur une majorité de députés dévoués, ce que l’on a appelé la concordance des majorités ou encore le phénomène majoritaire à la française. Cette situation lui a permis d’ajouter à sa fonction purement institutionnelle, une fonction politique très large. Avec la cohabitation on a redécouvert l’article 5 et de manière générale la Constitution comme source du pouvoir présidentiel ce qui a permis d’insister sur la fonction institutionnelle qui jusqu’alors avait été masqué. Mais assez vite on a pu constater que la fonction politique du Président ne disparaissait pas pour autant, son élection par le peuple lui permettait non plus de jouer un rôle de chef de majorité mais au contraire celui de chef de l’opposition. En définitive la ressource principale du Président sous la Ve République reste liée aux forces politiques, la ressource constitutionnelle demeurant secondaire.
Raymond FERRETTI, Maître de conférences de droit public à l’Université de Metz
Institut droit et économie des dynamiques en Europe (ID2)
Notes :
[1] Jean-Marie Colombani « Le résident de la République » Stock 1998
[2] Jean Gicquel « Droit constitutionnel et institutions politiques » 12e édition p.591
[3] Georges Burdeau   « La conception du pouvoir dans la Constitution française du 4 octobre 1958» RFSP 1959  pp. 87 et s.
[4] Charles de Gaulle Discours prononcé à Bayeux le 16 juin 1946 voir le texte dans Yves Guchet et Jean Catsiapis  « Documents politiques et constitutionnels » Ellipses 1994  p.108-110
[5] Idem
[6] Georges Burdeau   « La conception du pouvoir dans la Constitution française du 4 octobre 1958» loc. cit.
[7] Sur cette théorie on consultera Jean-Louis Quermone et Dominique Chagnollaud « Le gouvernement de la France sous la Ve République » 4e édition Dalloz 1991 p 586 et s. ; J.-L  Quermone « La notion de pouvoir d’Etat et le pouvoir présidentiel sous la Ve République » dans « Itinéraire. Mélanges en l’honneur de Léo Hamon, Economica 1984 ; Association française des constitutionnalistes « Le pouvoir et  l’Etat dans l’œuvre de Georges Burdeau ; Jean-Marie Denquin « Georges Burdeau et le pouvoir d’Etat dans la Constitution de 1958 » Droits n°14, 1991.
[8] Jean-Marie Denquin op. cit.
[9] Georges Burdeau op. cit.
[10] Benjamin Constant « Principes de politique applicables à tous les gouvernements représentatifs »1815 cité d’après l’édition de La Pléiade NRF 1957 p. 1078 et  s. A. Prévost-Paradol quelques années plus tard  précisait dans la même voie : « Ce surveillant général de l’Etat doit rester l’arbitre des partis et n’appartenir à aucun. Il ne doit montrer de préférence pour aucun ministère…..enfin et surtout il ne perdra jamais de vue la nation, juge définitif des majorités et des ministères» La France nouvelle 1868 cité d’après l’édition des classiques de la politique sous la direction de Pierre Guiral, Garnier 1981 p. 203
[11] Voir  Philippe Ardant « L’article 5 et la fonction présidentielle » Pouvoirs n° 41, 1987.
[12] Maurice Duverger  « Le système politique français » PUF 1985 p.259
[13] Sur les différentes conceptions de l’arbitrage on consultera notamment Jean Gicquel « Essai sur la pratique de la Ve République » LGDJ 1968 p. 62 et s ; Jean–Louis Debré « Les idées constitutionnelles du général de Gaulle » LGDJ 1974  p. 165 ; Jean Massot « La présidence de la République en France» NED n° 4343-4347 ; 1976 p. 108 et s. ainsi que « L’arbitre et le capitaine » Flammarion 1987
[14] Jean–Louis Debré idem
[15] Charles de Gaulle Discours de Bayeux op. cit.
[16] Idem
[17] Idem
[18] Voir P. Ardant op. cit.
[19] Voir J. Massot op. cit. p. 37
[20] Albin Chalandon cité par Jean Gicquel op. cit. p.22
[21] Allocution  télévisée du  29-9 1962
[22] Conférence de presse du 10-7-1969
[23] Conférence de presse 17-1-1977
[24] Déclaration sur A2 du  22-3- 1988
[25] Libération 10 mai 1984
[26] Georges Burdeau, Francis Hamon, Michel Troper « Droit constitutionnel » LGDJ 23e ed. 1993 p.147
[27] Jean Gicquel  « Droit constitutionnel et institutions politiques » Montchrestien 1993 12e édition p.590 et Philippe Ardant «Institutions politiques et droit constitutionnel » LGDJ 6e édition p. 493
[28] François Mitterrand déclarait en 1978 « On ne peut être à la fois arbitre sur le terrain et capitaine d’une équipe » L’année politique 1978 p. 15
[29] Georges Vedel « Le pari de la succession » La Nef 1968 p. 145 cité par Jean Massot « Alternance et cohabitations sous la Ve République » Les études de la documentation française 1997 p.69
[30]   JO, Débats A.N. séance du 24 avril 1964, p .950
[31] Jean Gicquel  « Droit constitutionnel et institutions politiques » Montchrestien 1999 16e édition p. 544
[32] « L’allégeance normale des ministres, et du premier d’entre eux, au chef de l’Etat.ôte toute signification, autre que formelle, à la règle du contreseing qui est un dû » V.E. Langavant : « Le contreseing des actes du Président de la République » AJDA 1960, I p. 50
[33] Discours prononcé  devant l'Assemblée nationale le 15 octobre 1970
[34] Jean Gicquel “Droit Constitutionnel et institutions politiques”, Montchrestien 15 e édition 1997 p.584
[35] Sur la cohabitation on consultera notamment la revue Pouvoirs n° 91-1999, Jean Massot « Alternance et cohabitation sous la Ve ». La documentation française. 1997. P. 110, Christiane Gouaud « La cohabitation » Ellipses 1996, Marie-Anne Cohendet « La cohabitation, leçons d’une expérience » PUF 1993, Maurice Duverger « Bréviaire de la cohabitation » PUF 1986
[36] Patrick Auvret « La faculté d’empêcher du  Président de la République » RDP 1986 p. 141et s.