* * * * * * *
I- Le système politique français est substantiellement fondé sur une démocratie représentative, tant au niveau national qu’au niveau local. Le corps électoral désigne des représentants, des élus qui exercent, en son nom, le pouvoir politique ou administratif. Cette démocratie représentative comprend également des éléments de démocratie directe, comme le référendum national ; mais aucun droit de veto ou d’initiative populaire n’est consacré au niveau national. On aboutit ainsi à un système mixte de démocratie semi-directe qui s’exerce à la fois au niveau national et au niveau local.
A ces procédés traditionnels de démocratie s’ajoutent des modalités particulières relevant de la démocratie participative. Plus large, elle fait participer au-delà du citoyen, l’administré, les associatifs, les usagers des services publics par le biais des consultations, des débats ou forums publics. Elle ne se traduit pas par la détention d’un pouvoir de décision au profit des intéressés, mais par un droit à la consultation, à l’information, à la participation ou à la concertation.
Des enquêtes publiques précèdent de nombreuses décisions locales, leur procédure a été rénovée pour assurer une plus large participation des citoyens (loi du 12 juillet 1983, modifiée par la loi du 2 février 1995, et par celle du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbain). Les principaux documents d’urbanisme sont soumis à cette enquête : directives territoriales d’aménagement, schémas de cohérence territoriale, plans locaux d’urbanisme, cartes communales, plans de sauvegarde et de mise en valeur, les procédures de planification lorsqu’elles touchent directement au droit de propriété. Néanmoins l’enquête publique intervient souvent assez tard dans le processus d’aménagement, il est alors difficile de remettre en cause les choix initiaux. Des procédures de concertation préalable existent également en matière d’élaboration de documents d’urbanisme ou de décisions concernant l’aménagement (art L. 300-2 du code de l’urbanisme). La concertation est obligatoire pour l’élaboration ou la révision d’un schéma de cohérence territoriale ou d’un plan local d’urbanisme, pour la création d’une zone d’aménagement concerté, pour d’autres opérations d’aménagement importantes qui modifient de façon substantielle le cadre de vie de la commune et qui figurent sur une liste établie par décret. Elle doit se dérouler avant que le projet ne soit arrêté dans ses options fondamentales et que ne soient pris les actes conduisant à sa réalisation effective. Il n’est pas possible de retenir un projet différent, dans sa nature et ses options essentielles, de celui débattu, sans recommencer la procédure, mais la personne publique qui organise la concertation n’est pas tenue de se rallier au point de vue des participants (CE 3 décembre 1993, Ville de Paris). En cas de méconnaissance de l’obligation de concertation, les projets envisagés peuvent être annulés. En ce domaine la démocratie participative constitue une tendance irrésistible et certaines associations de défense du cadre de vie et de l’environnement (associations locales d’usagers agréées, associations agréées de protection de l’environnement, doivent également être consultées). Le déroulement de la procédure d’expropriation comporte également l’enquête préalable (enquête publique) qui aboutit à la déclaration d’utilité publique. Il faut ici distinguer l’enquête publique de droit commun ,conduite pendant 15 jours, et l’enquête spécifique aux projets susceptibles d’affecter l’environnement, menée pendant un mois ; elles permettent de soumettre l’opération projetée à un examen public destiné à apprécier s’il y a utilité publique (Loi du 12 juillet 1983 modifiée par la loi du 8 janvier 1983 sur la protection des paysages, loi de finance du 30 décembre 1993, loi sur la protection de l’environnement du 2 février 1995).
Au - delà de ces procédures ponctuelles, l’information, la concertation et la participation des citoyens, au niveau local et national connaissent un certain renouveau, ces 15 dernières années.
La loi d’orientation du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale de la République a posé le principe d’un droit à l’information ouvert à tous, en renforçant la démocratie locale. Elle complète les mécanismes déjà prévus au niveau national par la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et par la loi du 17 juillet 1978 concernant la communication des documents administratifs, précisée par la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, et la loi du 3 janvier 1979 sur les archives. Elle a prévu notamment une information budgétaire et financière, en particulier un débat préparatoire au vote du budget pour les communes de 3 500 habitants et plus (art 11). Elle offre également de nouvelles possibilités, l’organisation de comités consultatifs, la consultation des habitants, la collaboration de la municipalité avec les associations d’usagers. Elle a aussi prévu la création de commissions consultatives des usagers des services publics locaux (art L. 2143-4 du CGCT). Tous ces éléments, même s’il faut relativiser leur portée en pratique, contribuent au développement de cette démocratie participative.
La
loi du 27
février 2002, relative à la démocratie de proximité,
est également un texte majeur du point de vue de la démocratie
participative, elle organise une participation des citoyens (titre 4
de la loi). Elle prévoit ainsi la participation du public à
l’élaboration des grands travaux, dans le cadre des procédures
d’élaboration des décisions relatives aux travaux, aménagements
et ouvrages publics. Elle organise un débat public. Elle a créé
des conseils
de quartiers,
obligatoires dans les communes de plus de 80 000 ha, qui font des
propositions au maire concernant le quartier ou la ville. Cette
création est facultative dans les communes de 20 000 habitants et
plus. Le périmètre du quartier, sa dénomination, la composition et
les modalités de fonctionnement ainsi que les crédits nécessaires
à ces conseils sont définis par le conseil municipal. Il existe par
ailleurs des comités
consultatifs
sur tout problème d’intérêt communal créés par le conseil
municipal (art L. 2143-2 CGCT). Ces comités comprennent des
personnes qui peuvent ne pas appartenir au Conseil, notamment des
représentants des associations locales, qui peuvent être consultés
sur toute question ou sur tout projet intéressant les services
publics et les équipements de proximité. Ils peuvent par ailleurs
transmettre au maire toute proposition concernant tout problèmes
d’intérêt communal pour lequel ils ont été institués. Il faut
également mentionner la montée du phénomène associatif, qui est
une des clefs de la participation citoyenne ; mais aussi
l’augmentation des recours contentieux qui sont une forme de
participation protestataire.
On
peut également mentionner la loi du 25 juin 1999 d’orientation
pour l’aménagement et le développement durable du territoire qui
engage la création de conseils de développement au niveau des pays.
De même la loi du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la
simplification de la coopération intercommunale a prévu des
commissions d’usagers dans les communautés de communes et les
communautés d’agglomérations. Certains organismes sont également
des lieux de consultation et de concertation, c’est le cas des
conseils économiques et sociaux, national et régionaux, ou la
commission locale d’information et de surveillance en matière de
déchets (lois du 15 juillet 1975, 19 juillet 1976).
Au-delà de l’application des textes, il
faut remarquer l’existence de nombreuses pratiques informelles de
concertation et de participation organisées dans le cadre de
structures informelles associatives, ou de structures particulières
comme les conseils municipaux d’enfants, ou des conseils municipaux
participatifs (Lettre du cadre « Communication publique
territoriale et démocratie participative », Dossier
d’experts). Des enquêtes ou des sondages sont également menés
par les élus locaux,, par le truchement de cabinets spécialisés.
Certaines pratiques comme les agendas 21 locaux , visant également à
favoriser localement le développement durable sur la base d’un
programme élaboré et partagé par tous, dont l’objectif est
d’associer les habitants.
II- La consultation locale est un procédés privilégié de l’exercice de la démocratie participative.
La
consultation locale est un élément majeur du dispositif français
de démocratie participative et
le projet de loi relatif aux responsabilités locales prévoit même
de l’élargir. Le droit actuel met
en place une consultation dans le cadre communal ou intercommunal. Il
est prévu que le conseil municipal ou qu’un établissement de
coopération intercommunale puisse consulter les électeurs dans des
cas limités et selon des conditions strictes. Cette consultation
n’est qu’une demande d'avis.
-
La loi du 6
février 1992 organise le recours à la consultation communale en
toute matière.
(art L 2142-1 et s). La décision de recourir à la consultation
appartient au Conseil municipal, sur proposition du maire ou sur
demande écrite du tiers des membres du conseil dans les communes de
3500 h et + ou à la demande de la moitié des membres du conseil,
dans les
communes de - de 3 500 h.
Les
domaines de la consultation sont assez larges et doivent relever de
la compétence des communes : projet d’aménagement du
centre-ville, projets de transports urbains. Elle
n'est pas possible pour un projet autoroutier, l'établissement des
autoroutes relevant du tracé d'une ligne TGV, ou pour la
réglementation de la circulation des poids lourds transitant par le
tunnel du Mont-Blanc (TA Grenoble 16 août 2001 préfet de la haute
Savoie AJDA 2002 p 153).
Le recours à la consultation n'est pas possible pendant
les campagnes électorales précédant les élections au suffrage
direct ou indirect. Les consultations sur le même objet doivent être
séparées par un délai de 2 ans et toute consultation doit être
séparée par un délai d'un an de la précédente. Elle est en outre
interdite en cas de recours contre l'élection du conseil municipal
et tant que le juge électoral n'a pas définitivement statué.
-
La loi du 4
février 1995 prévoit d'autres hypothèses (art L 2141-3 et s,
L. 5211-49-1CGCT
CGCT). La
consultation spécialisée s’exerce dans deux hypothèses. Le
Conseil municipal peut être alors saisi d'un projet de consultation
communale par un 1 5ième
(20%) des électeurs inscrits sur les listes électorales. Le Conseil
d’Etat a admis que le conseil municipal est tenu d’organiser la
consultation lorsqu’elle est demandée (CE 1 décembre 2003 Commune
de Lancieux req n°259684). L'objet de la consultation doit porter
sur une opération d'aménagement relevant de la décision des
autorités municipales. Il peut s’agir par exemple de la politique
locale de l’habitat, de l’accueil et du maintien des activités
économiques, des loisirs, du tourisme, de la réalisation
d’équipement collectif, de la mise en valeur du patrimoine. Cette
consultation ne peut intervenir moins de 2 ans et plus de 4 ans après
les dernières élections municipales.
La
consultation peut aussi porter sur une opération d'aménagement
relevant d'un établissement public de coopération intercommunale,
qu’il s’agisse de son organe délibérant ou de son président.
En ce dernier cas, elle a lieu sur proposition de l'ensemble des
maires des communes associées ou de la moitié de l'assemblée
délibérative de l'établissement, soit sur demande du 1/ 5° au
moins des électeurs de ces communes.
Dans
les deux cas envisagés un électeur ne peut signer plus d’une
saisine par an.
Le projet de loi relatif aux
responsabilités locales élargirait cette consultation générale
aux départements et aux régions.III- L’actualité et le renouveau des procédés de participation en France se situent surtout actuellement au niveau des collectivités territoriales : communes, départements, régions. Ce renouveau a été principalement initié par la réforme constitutionnelle du 28 mars 2003, relative à l’administration décentralisée de la République et relance la démocratie directe au niveau local.
A-
Cette loi constitutionnelle a tout d’abord instauré un
droit de pétition
(art 72-1 al 1
de la Constitution). Il permettra de demander et d’obtenir
l’inscription d’une question, à l’ordre du jour de l’assemblée
délibérante d’une collectivité territoriale, dès lors que cette
question relève de ses compétences. Les électeurs de chaque
collectivité territoriale sont concernés au niveau de la commune,
du département, de la région. Le projet de loi relatif aux
responsabilités locales, en cours de discussion, prévoit que 20%
des inscrits sur les listes électorales dans les communes et 10%
dans les départements et les régions pourront être à l’origine
de ces pétitions.
Ce mécanisme n’est pas indépendant du
référendum local, mis en place par ailleurs. En effet rien
n’interdit que la pétition ait pour objet de demander
l’inscription à l’ordre du jour de l’assemblée délibérante
de l’organisation d’une consultation des électeurs. Le succès
d’une telle modalité dépendra de l’engagement citoyen, les
seuils de participation imposés pouvant apparaître élevés.
En
outre un réel référendum local est désormais prévu dans la
Constitution.
B-
Le référendum décisionnel local prévu par la loi
constitutionnelle du 28 mars (art 72-1 al 2) est
une
innovation très importante, le droit local français y a été
longtemps rétif car on assimilait ce référendum à une forme de
démagogie. Il permet aux électeurs de décider sur des affaires
locales et il est à la disposition de l’ensemble des collectivités
territoriales, sous réserve du cas de la Nouvelle Calédonie qui est
soumise à un régime propre. Néanmoins
les établissements publics de coopération intercommunale
(communautés de communes, communautés d’agglomérations,
communautés urbaines) sont exclus du bénéfice de ce mécanisme ce
qui peut priver les électeurs de se prononcer dans des domaines
importants (développement économique, domaine social,
environnement).
Il
est prévu que des projets de délibération ou d’acte relevant de
la compétence d’une collectivité territoriale, peuvent, à son
initiative, être soumis par la voie du référendum, à la décision
des électeurs de cette collectivité. Son champ d’application est
assez large, mais il ne pourra pas porter sur des projets de
décisions individuelles.
Les
électeurs ne peuvent pas susciter la consultation, sauf à utiliser
le droit de pétition 72-1.
La
loi organique du 1 août 2003 relative au référendum local est
venue préciser les modalités de sa mise en œuvre. Ainsi le projet
soumis à référendum est adopté si la moitié au moins des
électeurs inscrits a pris part au scrutin et s’il obtient la
majorité des suffrages exprimés. La mobilisation d’au moins la
moitié des électeurs inscrits a été discutée, ceci favorise la
démocratie représentative et risque de limiter l’utilisation de
ce procédé. Le référendum ne réunissant pas ces conditions
n’aura que la portée d’un avis.
La
procédure est détaillée, on peut relever que l’assemblée
délibérante dispose d’une compétence exclusive pour soumettre un
projet d’acte ou de délibération à référendum , dans le
cas de projets de délibération concernant son domaine de
compétence. L’exécutif possède l’initiative de la proposition,
dans les domaines concernés par ses pouvoirs propres, l’assemblée
décide ensuite de l’organisation du référendum. Les
collectivités territoriales ne peuvent organiser un référendum
dans les 6 mois précédant le renouvellement général ou partiel de
leur assemblée délibérante, pendant la campagne ou le jour
d’autres consultations (72-1, 72-4 73), ou pendant la campagne ou
les jours de certains scrutins concernant des élections nationales,
européennes ou lors d’un référendum national. Une collectivité
ne peut en outre organiser plusieurs référendums locaux portant sur
le même objet dans un délai inférieur à un an.
On
ne peut négliger qu’il puisse exister un risque de conflit
potentiel entre les décisions adoptées par référendum par
des collectivités différentes sur le même thème, car il peut être
difficile d’ignorer le poids politique d’une décision prise au
suffrage universel direct à un niveau départemental ou régional.
Le contentieux du référendum local relève du juge administratif.
Enfin
d’autres consultations sont prévues notamment pour l’outre-mer.
C-
L’introduction de nouvelles consultations.
Deux
consultations sont prévues par l’art 72-1 al 3
de la Constitution. Il peut être décidé par la loi de consulter
les électeurs inscrits dans les collectivités intéressées en vue
de créer une collectivité territoriale dotée d’un statut
particulier ou de modifier son organisation. La modification des
limites des collectivités territoriales peut également donner lieu
à la consultation des électeurs dans les conditions prévues par la
loi. La première hypothèse prévue s’est déjà appliquée en
Corse. La loi du 10 juin 2003 a organisé la consultation des
électeurs le 6 juillet 2003, qui a donné lieu à un non. Mais cette
consultation n’aurait pu donner lieu à un acte juridique, une
réponse positive aurait simplement renforcé la position du
gouvernement pour poursuivre la réforme engagée.
Les
électeurs se sont prononcés sur le maintien des 2 départements ou
la création d’une collectivité territoriale unique.
Il
n’est donc plus question pour l’instant d’évolution
institutionnelle, mais d’éventuelles extensions de compétences,
dans le cadre des futures lois de transferts de compétences
Des
consultations sont aussi prévues dans les collectivités de
l’outre-mer.
Les articles 72-4 et 73 traitent des mécanismes de consultation
permettant de vérifier le consentement des électeurs, avant un
certain nombre de décisions qui engagent l’avenir des départements
et régions d’outre-mer (art 73), des collectivités d’outre-mer
(art 74). Il peut s’agir d’un changement de statut
constitutionnel entre le statut de DOM ou ROM et de COM, d’un
changement institutionnel ou fonctionnel.
Le
nouvel alinéa 7 de l’article 73 de la Constitution rend également
possible la création d’une collectivité unique se substituant à
un département et à une région d’outre-mer et l’institution
d’une assemblée délibérante unique pour ces deux collectivités.
Le
consentement
donné est une sorte de verrou. En effet, le législateur n’est pas
obligé de suivre l’évolution une fois le consentement obtenu,
mais si les électeurs disent non, l’évolution ne peut en aucun
cas avoir lieu.
Cette
procédure a été utilisée en Guadeloupe et en Martinique (demande
sur la création d’une collectivité territoriale unique demeurant
régie par l’article 73 mais se substituant au département et à
la région), et pour les îles de Saint-Martin et de Saint-Barthélémy
(sur la création d’une collectivité d’outre-mer régie par
l’article 74 de la C, se substituant à la commune, au département
et à la région). La Guadeloupe et la Martinique ont refusé
l’évolution institutionnelle ( respectivement par 72,98% et
50,48% de non). L’île de Saint-Martin a accepté avec 76,17% de
oui, Saint-Barthélémy aussi avec 95,51% de oui. Le Conseil d’Etat
a confirmé la régularité de ces consultations (CE 4 décembre
2003, M. FELER, AJDA 2003, n° 43, p. 2287).
Le
système de démocratie semi-direct est en plein renouveau ; il
est désormais à l’épreuve des faits, des politiques et des
citoyens.